Pour que juin, le mois de l'eau, dure toute l'année au Québec

Un texte de Martine Chatelain, écrit pour "l'agora des habitants de la Terre pour un futur libre", collectif dirigé par Riccardo Petrella.

Je suis de lacs et de rivières, je suis Québec,

Claude Gauthier dans sa chanson : Le plus beau voyage

Comme lui, tous les Québécois ont de l'eau dans les veines. Cette eau couvre 10% du territoire et représente 3% des ressources mondiales d'eau douce. Le paysage du Québec est façonné par trois millions de plans d'eau. Le fleuve aux grandes eaux, si bien raconté par le cinéaste Frédéric Back. Magtogoek, ce chemin qui marche, est l'artère principale de ce réseau hydrographique. Près de la moitié de la population vit aux alentours du Saint-Laurent, il fait le voyage des Grands Lacs jusqu'à l'océan Atlantique en fournissant au passage de l'eau potable à trois millions de Québécois. Toute cette eau accessible et disponible fait croire qu’elle serait toujours là pour nous. Pourtant notre inconscience et notre négligence pourraient mener à des pénuries ici chez nous.

Le plus beau voyage passe par nos grandes rivières aux noms évocateurs : Harricana, Yamaska, Madawaska, Maskinongé, Manicouagan, Métabetchouan, Batiscan, Magpie, Richelieu, Jacques-Cartier, Saint-Maurice, Saint-François, du Loup, du Lièvre, au Brochet, au Saumon, des Mille-Îles, des Prairies, des Outaouais, Nicolet, Châteauguay, Bécancour, Chaudière, Etchemins, du Nord, du Diable, Rouge, l'Assomption et toutes les autres. Le voyage se poursuit en passant par nos grands lacs ou réservoirs : Kipawa, Wipizagonké, Témiscouata, Sacacomie, Massawippi, Memphrémagog, Pingualuk, Baskatong, Gouin, Tremblant, Nominingue, le plus grand Mistassini en passant par tous les saints, lacs : Saint-Jean, Saint-Pierre, Saint-Louis, Saint-François; toutes les formes et couleurs, lacs : Carré, Rond, Croche, en Coeur, Vert, Noir, Blanc, Bleu ou Brun et tous les autres.

Nous avons tous en mémoire une chute, un ruisseau, un marais, un lac.


Nous avons tous en mémoire une chute, un ruisseau, un marais, un lac. Toute cette eau alimente nos grandes forêts, abreuve la faune et la flore, irrigue nos terres fertiles en créant nos paysages des montagnes à l'océan. L'eau de nos rêves de vacances et de loisirs dans laquelle nous nous baignons, ramons, pagayons, naviguons et comme Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver, comme le chantait si justement Gilles Vigneault, sur laquelle nous glissons en skis, luges ou patins l'hiver. Imaginez sans eau, pas de glace ni de hockey, notre sport national! Cette eau par laquelle les premiers peuples voyageaient en quête de gibier à chasser et qui a permis aux premiers explorateurs européens d'entrer dans le territoire et de s'y installer. La population vit encore à 40% aux abords du Saint-Laurent. L'eau a permis la drave, le transport des marchandises et créé de l'énergie par les moulins à eau puis par nos grandes centrales hydroélectriques.

Souillée, salie, polluée


Durant son grand voyage, l'eau pure est malheureusement souillée, salie, polluée. Les ruisseaux et les rivières qui coulent, transportent maintenant assez de substances nocives pour polluer l’océan dans lequel ils se jettent. Des continents de plastiques sont apparus et la vie a disparu, le climat est détraqué. L'agriculture utilise 70% de l'eau pour faire pousser nos aliments et nourrir le bétail. L'agriculture industrielle ajoute des engrais, des pesticides, des herbicides qui empoisonnent la terre et l'eau. On veut engraisser le bétail et on le nourrit à coup d'hormones et d'antibiotiques. Les usines qui produisent nos biens de consommation utilisent 20% de l'eau pour fournir nos meubles, vêtements, matériaux de construction, papier, aluminium, téléphones, ordinateurs et voitures en rejetant des eaux pleines d'hydrocarbures, de métaux lourds, de retardateurs de flammes, de plastiques et de différents produits toxiques. Ces biens que nous jetterons, souvent trop vite, augmentant la quantité déjà énorme de nos déchets. Ces déchets qui s'écouleront dans nos eaux souterraines par le lixiviat, cet extrait de jus de vidanges.

Le secteur de l'énergie utilise 8% de l'eau pour produire du gaz, du pétrole et alimenter les centrales nucléaires ou hydroélectriques qui produisent notre électricité. Les mines qui produisent les métaux et terres rares qui composent tous nos bidules électroniques, utilisent même des lacs pour entreposer leurs déchets de production et nous laissent des sites lourdement contaminés que l'État devra nettoyer à grands frais. La population s'est battue contre la venue de l'industrie du gaz de schiste dans la vallée du Saint-Laurent et se bat actuellement contre GNL Québec qui veut implanter une usine et un port pour le gaz naturel liquéfié au Saguenay. Les populations autochtones se battent contre le passage de pipelines sur leurs territoires. La population participe en masse aux Bureaux d'audience publique (BAPE) sur une série d'enjeux sensibles qui auront tous de grands impacts sur l'eau.

Si vous avez bien compté, il reste 2% de l'eau pour tous les usages des villes, nos usages domestiques. Boire utilise moins de 1% de toute l'eau potable! Nos toilettes utilisent 30% de toute l'eau potable de nos maisons et nous y mettons nos déjections. Cette eau finira aux égouts, fortement souillée par nos produits ménagers, eau de javel, détergents, microfibres de plastique, savons, produits pharmaceutiques et de beauté. Nos usines d'épuration ne peuvent se débarrasser de tous ces produits et même notre grand fleuve n'arrive plus à diluer cette soupe chimique.

Un beau voyage qui s’assombrit


Le plus beau voyage de l'eau commence à s'assombrir et les eaux deviennent troubles chargées de pesticides, engrais, hormones, médicaments, métaux lourds, hydrocarbures, plastiques, déchets, déjections humaines et animales, produits chimiques et nettoyants divers. De nouveaux mots étranges apparaissent : atrazine, glyphosate, néonicotinoïdes, hydrocarbures aromatiques polycycliques, insecticide Bti qui sont remplacés par d'autres polluants, plus dangereux encore quand on les interdit. Tous les êtres vivants, du plus petit brin d'herbe à la baleine géante, sont touchés. Tranquillement nous empoisonnons cette eau nécessaire à toute vie et à notre vie.

On la gaspille, on arrose les trottoirs et les rues, on la met en bouteilles de plastique (qui alimenteront les dépotoirs ou les continents de plastique dans l'océan) pour la vendre plus cher encore que le pétrole. Dernièrement on l'a même mise sur les marchés boursiers comme une vulgaire marchandise qui continuera d'enrichir les grands de ce monde au détriment des plus pauvres. L’eau est maltraitée, vendue, gaspillée, polluée.

Les rebelles


Mais l'eau et la terre se rebellent; la pluie devient acide, le climat se détraque causant de grandes sécheresses ou inondant tout, en emportant les terres et les habitations, ne laissant que cette petite maison blanche au Saguenay, symbole absurde de la fragilité de nos moyens devant les forces de la nature. Nous avons essayé de dompter l'eau et elle proteste en nous empoisonnant, en nous assoiffant ou en nous inondant.

Notre corps est composé de plus de 60% d'eau, si cette eau est pure et saine nous seront en santé. Par contre en continuant à polluer et souiller l'eau, nous nous empoisonnons nous-même. Nous tomberons malades par notre inconscience et nos mauvaises pratiques. Cancers, perturbateurs endocriniens, maladies et virus transmis par l'eau sont le résultat de notre négligence collective. La source de nos malheurs devrait être source de vie et non de mort. Nos légumes et nos fruits ne devraient pas nous empoisonner aux pesticides et la viande que nous mangeons ne devrait contenir ni hormones, ni antibiotiques. Nos lacs, notre fleuve et nos rivières ne méritent pas d'être traversés de pipelines, tunnels, ponts ni d'être harnachés, détournés, dragués ou utilisés pour y entreposer des bombes, des déchets nucléaires ou miniers.

Nous devons retrouver de toute urgence cette source qui ne vend pas son eau que chante Gilles Vigneault. Nous devons nous réconcilier avec la source de la vie en laissant couler la rivière comme le chante Marjo dans Doux. Nous devons nous laver de nos mauvaises habitudes et purifier nos corps et notre environnement. Individuellement et collectivement nous devons agir pour protéger l'eau, notre santé et celle de tous les êtres vivants.

Exiger, militer, agir, enseigner, se rebeller


Nous devons exiger le retrait immédiat de l'eau en bourse. Nous devons exiger l'imputabilité de nos élus dans la protection de cette ressource vitale du municipal au fédéral et qu'ils s'impliquent au niveau mondial. Nous devons exiger que l'eau demeure un bien commun public géré par des élus responsables et non par de grandes multinationales. Nous devons militer pour que le droit à l'eau et à l'assainissement devienne effectif partout sur Terre. Nous devons veiller à ce qu'elle soit disponible, accessible, propre et gratuite pour tous. Nous devons agir pour qu'elle continue de couler libre et pure dans un environnement sain. Nous devons enseigner à nos enfants l'importance de l'eau et aux plus vieux les moyens d'y parvenir. Nous devons nous impliquer dans la gestion de nos eaux dans nos arrondissements, municipalités, comités de bassins versants, associations de lacs, etc. Nous devons soutenir nos défenseurs de l'eau : Eau Secours, Fondation Rivières, Nature Québec, SNAP et tous les comités de citoyens qui s'impliquent comme protecteurs de l'eau.

Le plus beau voyage de Claude Gauthier est plus actuel que jamais en ce mois de juin devenu, au Québec, le mois de l'eau. Un mois qui devrait se poursuivre tous les jours de l'année. Car l'eau n'est pas une marchandise, elle ne devrait pas être vendue, possédée par les plus riches et nul ne devrait pouvoir se l'approprier aux dépends des autres. L'eau est précieuse, plus rare et fragile que nous laisse croire son accessibilité et sa disponibilité sur notre territoire. L'eau est essentielle à toute vie et à tous les aspects de notre vie.

Parce que comme dans Le plus beau voyage,

Je suis de lacs et de rivières, je suis Québec mort ou vivant.




Un texte de Martine Chatelain
Martine Chatelain est une retraitée de l'enseignement. Elle est aussi conférencière et consultante en éducation relative à l’environnement et à la citoyenneté, membre du comité des retraités Bruntland de la CSQ et autrice de La nature et moi de la Fondation Monique-Fitz-Back.

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