Jour de la Terre 2022

Un texte d'Ann Everitt, Maître en Science de l'Environnement.

Très précieuse et douillette Planète,

en ce 22 avril, je tiens à te souhaiter… quoi au juste? Je t’explique: il s’agit d’une journée spéciale pour toi: celle où les humains te célèbrent.
Nous sommes supposés honorer ton unicité et ton importance pour notre survie. Bien que tu mérites un peu de repos, car soyons honnêtes, nous ne te rendons pas la vie facile, je crains que ce ne soit impossible. J’aimerais qu’en cette journée d’exception, et en fait à tous les jours, tu cesses de craindre de te faire déforester, de te faire piller de tes richesses, de te faire empester par des gaz nocifs et de te faire éventrer pour te remplir de déchets.
Malheureusement, en 2022, nous avons atteint un sommet de déforestation de l’Amazonie, laquelle voit la santé globale de ses écosystèmes rudement mise à mal (voir précédent article du Devoir : source ci-dessous), nous sommes à la veille d’une sixième extinction massive (Pievani, 2014), nous avons dépassé un sommet dans notre production de gaz à effet de serre (GES) (Bon pote) et nous envoyons encore pleins de matières pourtant compostables et recyclables dans tes entrailles (Recyc-Québec, 2018). Et je ne fais que t’énumérer quelques éléments, puisque, tu le sais, la liste est plus longue encore. À la lumière de ces quelques faits, tu comprendras que je ne sais pas trop quoi te souhaiter. Une formulation du style « passe une bonne journée », serait complètement frauduleuse.

Il faut aussi que je te parle d’un autre événement qui te concerne, un peu moins glamour celui-là : la Journée du dépassement. L’an dernier, nous avons atteint ce jour fatidique le 29 juillet 2021, signifiant que les humains avaient consommé la totalité des richesses que tu peux régénérer en un an (Climate consulting). Le pire est que, lentement mais sûrement, cette plage horaire est grugée, la date étant constamment devancée. Confrontée à cette goinfrerie, année après année, je ressens une immense désolation, teintée de frustration. Ne voyons-nous pas les conséquences à venir de notre inconscience? Et tu veux que je te dise, si tous les humains consommaient autant que les canadien.ne.s, le jour du dépassement arriverait même avant ta Journée de fête. Je t’invite à souffler tes bougies.

Chère Planète, je te trouve bien chanceuse, car le Gouvernement du Canada vient tout juste de publier son Plan de réduction des émissions pour 2030, en plus d’autoriser un nouveau projet d’extraction de pétrole, et ce, juste à temps pour ton anniversaire! Il appelle encore une fois à l’impératif de croissance, en soulignant l’importance d’une « économie axée sur une croissance propre ». Plus loin dans les pages du rapport, nous retrouvons la mention de « combustibles propres » (Gouvernement du Canada, 2022). As-tu déjà eu connaissance qu’il existait des bonbons sains pour les dents? On y parle aussi de « gouvernement vert ». La rhétorique environnementale sous-jacente est habile, la réalité l’est moins. À part les termes, rien de ce Plan ne peut te convaincre qu’une considération réelle a été apportée à ton bien-être. Tu le devineras, ceci n’est pas en adéquation avec ce que suggèrent les spécialistes du GIEC dans leur troisième rapport qui vient tout juste de sortir. On y parle plutôt de changements majeurs dans notre mode de vie, notamment en insistant sur l’impérativité de diminuer notre (sur)consommation.

Je rêve d’un avenir en durabilité, mais pour cela, il faut changer de paradigme, réinventer le quotidien. Il faut initier le changement, en acceptant d’élargir nos horizons. Même si je me sens parfois bien consternée vis-à-vis l’inertie étatique, en cette journée spéciale, je vais choisir de me concentrer sur les humains qui font la différence et qui tentent par tous les moyens d’être en harmonie avec toi. Je ne parle pas ici de ceux qui révolutionnent le monde, mais bien de chaque citoyen.ne dans son quotidien qui gaspille moins, qui réduit sa consommation carnée en intégrant plus de protéines végétales à son menu, qui exige un plan environnemental strict de la part du gouvernement qu’il ou elle choisit d’élire, qui se cultive pour comprendre les enjeux et qui aime la nature dans les gestes qu’il.elle pose. J’ai une idée finalement. Je vais te (nous) souhaiter aujourd’hui et à tous les jours de l’année de la bienveillance de la part des humains, mais aussi une prise de conscience de leur part. Après tout, la crise que l’on vit aujourd’hui n’est pas que climatique; elle est aussi civilisationnelle.

Joyeux Anniversaire, notre Oïkos. Merci d’être là.

Liens :
- https://www.un.org/fr/observances/earth-day
- http://www.harmonywithnatureun.org/

- Jour du dépassement
- article Le Devoir
- Bon Pote : les infographies du 6eme rapport du giec
- Bon Pote :nouveau rapport du giec
- Plan Reduction Emissions 2030,Canada

- Recyc Québec, 2018

- Pievani, T. (2014). The sixth mass extinction : Anthropocene and the human impact on biodiversity. Rendiconti Lincei, 25(1), 85‑93. https://doi.org/10.1007/s12210-013-0258-9

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