Thérèse Sagna : défendre les femmes et l’environnement

À son arrivée au Québec, Thérèse apprend que son diplôme d’infirmière n’est pas reconnu. Interpellée par les besoins des femmes, surtout en situation de pauvreté, la Sénégalaise décide de ne pas refaire ses études, mais de se réorienter comme intervenante dans un centre des femmes. Aujourd’hui coordonnatrice du Regroupement des femmes de la région de Matane, elle réside au Bas-Saint-Laurent depuis 25 ans, si bien que Thérèse se proclame elle-même avec humour « une Québécoise pure laine ».

Impliquée auprès d’organisations régionales, nationales et internationales, elle a une feuille de route bien chargée. « J’ai parfois l’impression d’avoir 100 ans quand je regarde tout ce que j’ai fait. », remarque-t-elle. « Parallèlement, j’ai aussi le sentiment de ne jamais en avoir fini avec les projets puisque je ne peux me sentir bien, si ce n’est pas le cas autour de moi. »

Découvrez comment l’infatigable Thérèse cherche à améliorer ce qui l’entoure, qu’il soit question d’enjeux sociaux ou environnementaux.

Comment avez-vous commencé à vous impliquer dans des projets de sensibilisation ?

À bien y réfléchir, je me rends compte que la sensibilisation et le contact humain m’ont toujours intéressée. Au Sénégal, je me rappelle avoir collaboré et échangé avec des biologistes alors que nous allions en forêt à la recherche d’échantillons de plantes médicinales. Cependant, l’un des projets marquants de sensibilisation auquel j’ai participé remonte au moment où j’étais infirmière en obstétrique au Sénégal. Mon mandat était d’informer les populations rurales à propos de la méthode de l’espacement des naissances afin de réduire le taux de mortalité des mères. Ç’a été un travail de longue haleine !

Comme le Sénégal est un pays musulman, il a d’abord fallu convaincre les autorités religieuses du bien-fondé de notre démarche. Une fois que les marabouts ont donné leur accord, je suis allée faire de la sensibilisation dans les villages éloignés des grands centres. Je rencontrais les couples et nous discutions des risques pour la santé de la mère d’avoir deux grossesses très rapprochées. Je suis fière de vous dire que le projet a été un franc succès.

Comment votre implication environnementale s’est-elle arrimée à vos projets sociaux ?

Environnement et société sont connectés, je dirais même qu’ils sont interreliés. L’un ne va pas sans l’autre. J’aime que ma maison soit belle, propre et agréable. J’en prends soin. Nous devrions faire la même chose pour l’environnement. Je crois que souvent, par négligence, nous empoisonnons notre environnement.

Cependant, je garde espoir qu’en nous relevant les manches et en posant des actions, nous pouvons corriger le tir. C’est pour cette raison que lorsque je remarque quelque chose qui ne va pas et qui nuit à l’environnement, je ne peux pas rester silencieuse. Je ne suis toutefois pas là pour critiquer. Au contraire! Je veux passer à l’action et travailler en collaboration pour que les initiatives et projets en développement réussissent. Ce n’est pas toujours facile de s’exprimer en public ou de dénoncer quelque chose qui cloche.

D’où vous vient cette volonté de faire entendre votre voix?

Lors d’une mission de Développement et paix à laquelle je participais, notre délégation s’est rendue à Madagascar pour visiter une mine canadienne. Là-bas, j’ai vu l’horreur. J’ai aussi eu honte. Nous, les Canadiens, allons extraire les minéraux en sol malgache et, après 25 ans, on « sacre notre camp ». Ces activités minières ont de forts impacts négatifs sur l’environnement et les communautés. Cela touche particulièrement les locaux. Je me rappelle avoir vu les gens pleurer dans leurs rizières qu’ils cultivent depuis des générations. Après cette réalisation, je me suis promis de ne jamais me taire lorsque je mets le doigt sur une problématique, qu’elle soit de nature environnementale ou sociale.

Les effets des activités minières à Madagascar

Une grande partie des zones exploitées par les minières sur le territoire malgache sont des fonds de vallées où l’on retrouve des rizières irriguées. Toute culture devient impossible lorsque la mine est en activité. Après l’exploitation, les sols excavés et déstructurés sont totalement inaptes à l’agriculture, même après l’apport de terre, le comblement des galeries et le nivellement.

De plus, le mode de vie et de subsistance traditionnels des populations malgaches en bordure d’un projet minier est lourdement affecté. Certaines familles sont « relocalisées » dans des villages construits par les entreprises minières. Celles qui décident de rester aux abords de la mine risquent la destruction de leurs rizières.

Vous vous impliquez beaucoup dans des projets de gestion des matières résiduelles. Qu’est-ce qui vous touche particulièrement dans cet enjeu?

Toute petite, au Sénégal, j’en ai brûlé des déchets et avalé de la fumée toxique. Ça m’a marquée et rendue sensible aux initiatives visant à réduire la taille de nos poubelles. Je suis découragée de voir tout ce qu’on jette à Matane! On paie pour envoyer des objets, toujours en bonne condition, au site d’enfouissement. Ça me parait absurde.

Ce constat a été l’étincelle d’un projet de friperie, couvrant l’ensemble du territoire de la MRC, sur lequel je travaille en ce moment avec le Regroupement des femmes de Matane en collaboration avec la ville de Matane et la MRC de la Matanie. Le projet démarre cet été. Les objets qui se seraient normalement retrouvés à la poubelle seront ramassés et revalorisés dans une friperie. Ces « déchets » pourront alors trouver une nouvelle maison et avoir une deuxième vie au lieu d’aller au dépotoir.
Les sacs de plastique sont aussi l’un de vos chevaux de bataille. Comment vous y prenez-vous pour limiter leur utilisation?

En travaillant au Regroupement, j’ai remarqué que nous utilisions beaucoup de sacs en plastique à usage unique à la friperie qui vient d’être mise en place. J’ai donc cherché une solution. Adhérant à la cause environnementaliste depuis des années, j’ai élaboré un projet de consigne de sacs réutilisables pour les chiffonnières du Regroupement des femmes de Matane.

Si une personne arrive à la friperie sans sac, il lui est possible de s’en procurer un ici. Ces sacs, disponibles en consigne, sont fabriqués par des couturières de la région et sont faits de tissu sénégalais. Lorsque vos achats sont faits, vous apportez le sac à la maison et le ramenez avec vous lors de votre prochaine visite à la friperie. En rapportant le sac lorsque vous en aurez plus besoin, vous pourrez récupérer votre consigne.

En plus de réduire la quantité de déchets que nous produisons, j’espère sensibiliser la population matanaise à la réduction de la consommation de produits à usage unique. Ce projet est issu d’une suite logique au projet de récupération de textiles que j’ai initié avec la Ville de Matane, la MRC, la SADC et les friperies de la région. L’enfouissement des textiles coûte aux friperies des milliers de dollars annuellement. C’est pour cela que grâce à ce projet, nous pouvons redonner une vie à des textiles qui autrement seraient envoyés dans les sites d’enfouissement. Ces vêtements sont récupérés par une entreprise de Québec qui leur donne une seconde vie.
Un texte d'Aurélie Lagueux-Beloin
Passionnée par les bébittes, autant les petites que les grosses, Aurélie a étudié la biologie et l’écologie avant de dévier vers le journalisme et la communication scientifique. Après une incursion dans l’univers de la recherche sur les baleines à Tadoussac et de la lutte aux changements climatiques, elle occupe maintenant le poste de coordonnatrice des communications à l’Association québécoise pour la promotion de l’éducation relative à l’environnement (AQPERE).

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