y a-t-il du racisme en environnement?

Y a-t-il du racisme en environnement?

Si l’année 2020 rime avec pandémie, elle marque aussi une prise de conscience collective, à l’échelle mondiale, sur la présence du racisme systémique dans les sociétés. Pour mieux comprendre ce phénomène, nous nous sommes entretenus avec Gina Thésée, professeure au département de didactique de l’Université du Québec à Montréal et cotitulaire de la Chaire UNESCO en démocratie, citoyenneté mondiale et éducation transformatoire. Nous explorons avec elle les liens, le plus souvent invisibles, qui relient racisme et environnement, ce qu’on appelle le racisme environnemental.

AQPERE : Tout d’abord, comment décririez-vous le racisme ?

Gina Thésée : Pour aborder le racisme, dans sa complexité, son étendue et sa profondeur, je le compare à un iceberg. Les icebergs sont ces énormes masses de glace qui flottent dans les océans et dont la partie émergée, visible, ne révèle qu’une faible portion de la masse totale comparativement à la partie immergée, invisible.

La partie visible du racisme inclut, bien sûr, la brutalité policière et le profilage racial. Cependant, les effets les plus insidieux logent dans la partie invisible de l’iceberg du racisme. Ils imprègnent les représentations de toutes et tous (personnes racialisées et non racialisées), s’incrustent dans toutes les strates des sociétés et affectent les rapports à soi, à l’Autre, au monde et à l’environnement.
AQPERE : Comment les injustices raciales sont-elles connectées aux enjeux environnementaux ?

Gina Thésée : Les injustices raciales sont directement reliées aux injustices environnementales. Elles se manifestent ensemble comme deux aspects d’un même phénomène. En 2005, par exemple, la couverture médiatique de l’ouragan Katrina avait révélé des images fortes de l’intersection des injustices raciales et des injustices environnementales. Pour étudier cette relation, le sociologue Robert Bullard, considéré comme le père de la justice environnementale, les a cartographiées. Ses travaux de recherche ont permis de comprendre que, dans les quartiers du sud des États-Unis où les communautés noires sont majoritaires, les problématiques raciales se superposent de manière significative aux problématiques environnementales et de santé environnementale.

Selon Bullard, les vulnérabilités qui résultent, historiquement, des conditions sociales, environnementales, politiques, économiques, éducatives, etc. dans lesquelles vivent les populations noires sont maintenant aggravées par les effets des changements climatiques. Dans les communautés racialisées, le racisme environnemental donne lieu à de multiples vulnérabilités qui peuvent être liées à la santé, la sécurité mais aussi à l’éducation, l’emploi, le développement collectif et l’épanouissement personnel.

AQPERE : Et au Québec ? Ces vulnérabilités sont-elles présentes ?

Gina Thésée : Ce serait jouer à l’autruche de penser que le racisme et les vulnérabilités multiples qui en découlent n’existent pas chez nous. Au Québec, il y a bien, de manière générale, un déni du racisme systémique et, par le fait même, du racisme environnemental. Cela dit, la pandémie a révélé des injustices raciales bien ancrées à Montréal. Je pense, par exemple, à l’arrondissement de Montréal-Nord où vit un grand nombre de familles de la communauté d’origine haïtienne ; celles-ci ont été grandement affectées par la COVID-19.  

Les préposées et préposés aux bénéficiaires d’origine haïtienne travaillant en CHSLD, nombreux dans cet arrondissement, sont des exemples éloquents de personnes aux vulnérabilités multiples. Avec des statuts d’immigration incertains, embauchés dans des emplois précaires, gagnant de maigres salaires, vivant en famille dans des logements exigus et se voyant imposer des conditions de travail qui les mettent à risques, ces femmes et ces hommes cumulent des vulnérabilités socio-environnementales qui ont durement et durablement affecté leur sécurité et leur santé, ainsi que celle de leur famille et de la communauté, face à la pandémie.

La COVID-19 a aussi mis en évidence une autre injustice : compte tenu de sa population, on ne trouve pas suffisamment de cliniques médicales à Montréal-Nord parce que peu de médecins établissent leur cabinet dans le quartierr. Dans ce «désert médical», la communauté a un accès limité aux soins de santé avec les conséquences qui en découlent. Montréal-Nord, quartier fortement multiethnique et multiracial de Montréal, est l’un des quartiers les moins bien desservis au Québec et au Canada.

AQPERE : Les personnes racialisées s’intéressent-elles à l’environnement ?
40223836951_d8307614ed_b
L’arrondissement Montréal-Nord a été l’un des plus touchés sur l’île de Montréal et au Québec. Ceci s’explique par la densité de population et la forte présence de travailleurs essentiels qui ont été en présence de foyers d’éclosion dans le cadre de leur emploi.
Gina Thésée : Je pense que l’on devrait plutôt se demander : « Comment les personnes racialisées s’intéressent-elles à l’environnement ? ». Bien qu’elles soient très concernées par les enjeux environnementaux, paradoxalement, les personnes racialisées peuvent sembler ne pas s’y intéresser ou ne pas vouloir prendre part à la discussion. C’est tout d’abord une question de priorité. En situation de vulnérabilités multiples, les besoins liés à la survie (emploi, nutrition, logement, santé, sécurité, éducation des enfants, adaptation au contexte de racialisation, résistance face aux manifestations du racisme, espoir de résilience, etc.) sont prioritaires.

De plus, certaines perspectives écologiques peuvent être perçues comme des préoccupations de Blancs, c’est-à-dire, de personnes privilégiées qui abordent les enjeux environnementaux un peu comme des loisirs. Il faut dire que les mouvements écologistes ont longtemps ignoré les enjeux de racialisation, et par le fait même, les effets du racisme environnemental dans leurs revendications.

En contextes de racialisation, les problématiques environnementales se font sentir avec plus d’acuité. Leurs effets sur les communautés racialisées reçoivent moins d’intérêt de la part des médias, moins d’indignation de la part de la population en général et moins d’actions concrètes de la part des personnes en postes de décision.

Par ailleurs, les diasporas africaines à travers le monde ont aussi à composer avec le sentiment de ne pas se sentir chez soi, d’être des persona non grata. Notre sens du lieu ainsi que notre rapport à l’environnement sont altérés par le fait d’être perçues comme « Autres » et de se faire demander, encore et encore, notre lieu d’origine, ou de se faire dire, une fois c’est déjà trop, d’y retourner. Même après la dépossession des ancêtres faits esclaves et après l’abolition de l’esclavage, nos rapports à l’environnement continuent d’être sapés par les dynamiques des différentes strates de l’iceberg du racisme.


AQPERE : Comment peut-on passer à l’action pour mettre fin aux injustices raciales ?

Gina Thésée : La première étape est de déconstruire le discours de déni à propos de l’aspect systémique de la racialisation. C’est un processus écosystémique qui jalonne tous les systèmes de nos vies. Il faut reconnaître son existence, mais aussi son étendue et sa profondeur. Dans le cadre de la Décennie internationale 2015-2024, l’ONU nous invite à réfléchir et à reconnaître les dynamiques sociales qui constituent des obstacles, voire même des freins, à la reconnaissance, à la justice et au développement des communautés et personnes d’ascendance africaine dans les diverses diasporas du monde, tout particulièrement, dans les Amériques où elles sont plus nombreuses. Cette Déclaration internationale de l’ONU, trop peu connue, peut servir de point de départ pour cesser d’inscrire le racisme dans un contexte social particulier tout en niant sa présence et ses effets dans d’autres contextes.

Passer à l’action suppose d’apprendre à penser différemment. Action et réflexion sont les deux pôles d’un même aimant, l’une ne peut aller sans l’autre. Pour ce, il est d’abord nécessaire de s’informer, réfléchir, aller à la rencontre de l’Autre, écouter, dialoguer, comprendre, prendre conscience de l’impératif éthique qu’est l’antiracisme et se mettre à la place de l’Autre, la personne racialisée. Les communautés racialisées ont besoin d’un faisceau de solidarités dans tous les systèmes du social : le politique, l’éducatif, l’économique, le judiciaire, le culturel, l’artistique, le judiciaire, le sportif, etc.

Individuellement et collectivement, chacunE doit être partie prenante des luttes contre le racisme et affirmer son engagement dans l’antiracisme. L’éducation, que ce soit dans les contextes informels, non-formels et formels ne peut ignorer l’antiracisme. L’éducation doit être antiraciste : il y va du futur des sociétés et de l’éducation du futur. Nous avons besoin d’une éducation à la fois transformatoire et émancipatoire, basée sur un processus de décolonisation de l’esprit, des savoirs environnementaux et des relations entre les acteurs sociaux dans leur diversité phénotypique. On n’a pas le choix de s’engager ensemble pour contribuer à enrayer les injustices raciales et environnementales conjuguées.

Lexique du racisme

Personne racialisée : Personne qui subit le racisme. Personne dont le phénotype se distingue du phénotype caucasien par exemple par la couleur de la peau, les traits du visage et la texture des cheveux. Les noirs, les autochtones et les personnes de couleur sont des personnes racialisées.

Phénotype : Ensemble des caractères observables d’une personne, comme la couleur la peau, les traits du visage et la texture des cheveux. Le phénotype est donc la façon dont nos gènes s’expriment. Ce terme est en opposition au génotype qui représente l’ensemble de notre génome.

Racialisation : Processus, sur un horizon de temps (ayant un début et une fin), par lequel des personnes selon un phénotype sont identifiées et rassemblées. Ceci mène à une catégorisation négative par des stéréotypes et des biais de ce groupe de personne. Celles-ci ont moins de privilèges et font l’objet d’une méfiance et d’une surveillance accrue. La racialisation conduit à des expériences de racisme.

Racisation : Processus similaire à celui de racialisation. Cependant, la discrimination vécue par un groupe d’être humain peut être basée sur plusieurs critères : le phénotype, l’ethnicité, la langue, la religion, etc.

Racisme : Idéologie qui, partant du postulat de l’existence de races au sein de l’espèce humaine, considère que certaines catégories de personnes sont intrinsèquement supérieures à d’autres.

Un texte d'Aurélie Lagueux-Beloin
Passionnée par les bébittes, autant les petites que les grosses, Aurélie a étudié la biologie et l’écologie avant de dévier vers le journalisme et la communication scientifique. Après une incursion dans l’univers de la recherche sur les baleines à Tadoussac et de la lutte aux changements climatiques, elle occupe maintenant le poste de coordonnatrice des communications à l’Association québécoise pour la promotion de l’éducation relative à l’environnement (AQPERE).